La Marquise

La marquise sortit à 5 heures ...
Elle appela son cocher et grimpa en hâte dans la calèche.
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ecrim-la-marquise_4086.jpgL’homme ne demanda rien, il savait apparemment où l’emmener. Il y a longtemps qu’il ne l’avait pas vue aussi belle, aussi élégante, aussi apaisée. Elle qui, d’accoutumée, était secrète, renfermée, soucieuse, préoccupée même, aujourd’hui était comme métamorphosée. Sa toilette, sa coiffure , ses parures, tout était d’une perfection presque anormale. Elle laissait derrière elle le château sans se retourner, comme si quelque chose la dérangeait, comme si elle voulait oublier, comme si elle souhaitait préserver son maquillage de toutes pleurs. Il y a si longtemps qu’elle y vivait comme prisonnière, cachée, voyant chaque jour les mêmes visages, décorations et décors, prise dans une routine ennuyeuse. Aujourd’hui était un GRAND JOUR pour elle. Elle avait mûrement réfléchi sa décision avant de faire le grand pas, de partir à la découverte de ... l’inconnu.
Le déclencheur ? Un jour, un chasseur, en provenance d’une région éloignée, avait demandé secours au château. Il prétendait avoir perdu son chien, tombait de fatigue à la nuit tombante et la pluie se faisait de plus en plus menaçante. Le marquis, chasseur lui-même, lui avait proposé spontanément l’hospitalité sans en faire part à sa fille. C’est ainsi qu’au matin, à la table du petit-déjeuner, un étranger avait pris place. La marquise, faisant son entrée habituelle, en fut très surprise et retint un mouvement de recul. Le chasseur, lui, face à une telle beauté, ne cacha pas son émotion et, se levant pour la saluer, en renversa sa tasse à café sur la belle nappe blanche. Leurs regards se croisèrent, très différents l’un de l’autre. La marquise n’avait jamais apprécié ni compris l’état d’esprit d’un chasseur. S’agissant de son père, elle avait accepté sans poser de questions ni juger, mais d’un étranger, pas question de louer cette passion, il ne pouvait qu’avoir tort. A peine s’était-elle posée la question de sa présence que son père la lui expliqua. Elle lui fit un léger signe de la tête et prit place à sa chaise habituelle. L’homme la dévorait des yeux, tentant désespérément d’intercepter son regard. Pour casser le silence pesant, l’inconnu se lança dans une demande bien précise, il était très inquiet pour son chien.
« Comment s’appelle-t-il ? » s’enquit alors la marquise, revenue à la réalité.
Le chasseur crut bon de parler de son compagnon, d’en vanter les mérites et qualités, mentionnant son pédigrée et ses performances.
Et la marquise de réitérer sa question, un peu exaspérée.
Le visage de l’homme se fit quelque peu interrogateur, il bredouilla, troublé par le comportement de son hôte pour, finalement, le lui donner. Ses paroles étaient à peine audibles. Elle se mit dès lors à le questionner sur le lieu où il avait perdu sa trace, s’il était déjà venu avec lui en cette région, s’il l’aimait, depuis quand il l’avait, etc. L’homme ne put que répondre à cette succession de questions, sans réfléchir, ou plutôt si, en se demandant à quoi rimer cet interrogatoire.
Ecourtant son petit-déjeuner, la marquise prit congé du mystérieux visiteur en arborant un sourire timide. Deux jours passèrent, au cours desquels elle garda le silence, provoquant l’inquiétude de son père. Après le départ du chasseur, le rythme habituel avait repris son cours, avec ses lenteurs et sa monotonie : quelle tristesse. Aux questions basiques de son père, elle répondait par oui ou par non ou, pire encore, par un signe de tête, jusqu’au jour où il la vit monter dans la calèche sans la moindre explication. Mystère, inquiétude, questionnement, nul ne savait où elle allait et si, oh non !!, elle reviendrait. Au château, ce fut tristesse, chagrin, appréhension, colère, peur.
Madame la Marquise, de son côté, admirait les paysages qui défilaient sous ses yeux, saluait d’un geste élégant les gens qu’elle croisait, chantait et parlait toute seule. Parfois, le cocher l’entendait rire aux éclats lorsque le chemin caillouteux la projetait hors de son siège. On aurait dit ... qu’elle était heureuse !
A quelques heures de là, brusquement, ledit cocher ralentit avant de s’arrêter net. Un obstacle ? Un arrêt pour les chevaux ? Un cours d’eau barrant le chemin ? Un répit pour l’homme ? Elle frappa contre la cloison pour s’enquérir du danger éventuel. Le cocher, descendant de sa place, vint à sa porte et la pria de descendre. Son visage n’était pas apeuré, au contraire, le sourire y rayonnait, elle accepta donc de le suivre. C’était si inhabituel dans sa vie quotidienne que cet événement piquant semblait la réveiller d’un long sommeil. Son faciès était à la fois détendu et crispé. Ses yeux auraient voulu interroger ceux de l’homme de maison, mais ce fut sans succès, car son regard était rivé sur une forme sombre à quelques pas d’eux. C’est alors qu’elle se détendit, tous ses sens en éveil. Devant elle, devant eux, un chien était allongé de tout son long, leur barrant le chemin, une grande langue rose pendante, un corps secoué par des halètements fréquents. Elle l’appela doucement et le quatre pattes, entendant son nom, se leva pour se diriger vers elle. C’était lui, Médor, lui qui allait lui permettre de retrouver ... son Maître !!


Betty Morel
25.01.2014