Vive la liberté !

Que n’ai-je su l’apprécier à sa juste valeur du temps où je la fréquentais, me confie Odette. Du matin au soir, mes occupations se succédaient, tant du point de vue professionnel que privé. Prise dans la farandole de mon métier, j’acceptais les horaires fixes depuis des années. En dehors des jours de labeur, j’organisais mon temps libre entre le sport, l’amitié et les voyages. Tout s’enchaînait, s’entremêlait sans se chevaucher, tel un cours d’eau, parfois tranquille, souvent plus agité. Ainsi s’est écoulée ma vie active.

Puis l’heure de la retraite a sonné, donnant lieu à un certain chamboulement. J’ai dû retirer de mon emploi du temps toutes ces heures consacrées à une activité professionnelle régulière et dite « à plein temps ». Dès lors, me tournant davantage vers les amies et le sport, j’ai opté pour des voyages en avion et en car, en Suisse et à l’étranger. J’allais de découverte en découverte. Tous ces souvenirs sont encore bien ancrés dans ma mémoire. Ils me permettent de rêver et de revivre encore ces beaux moments.

Quel que soit son taux d’occupation, les années filent toujours plus vite, jusqu’au jour où l’on atteint la nonantaine. Un sacré bail ! Vint alors l’heure de penser au déménagement, l’appartement n’étant plus adapté à mon état de santé. Le choix ne fut pas aisé mais la décision m’incombait. Certes, quelques personnes autour de moi m’influencèrent, m’aidèrent, me voyant dans l’incertitude. Car un déménagement n’est pas anodin. C’est au contraire un grand stress, d’autant plus que je quittais un lieu de vie après quarante ans d’indépendance.

Le moment était venu de renoncer à mes habitudes et petit à petit à mon savoir-faire. Je devais maintenant confier certaines tâches bien connues à d’autres personnes, que je ne connaissais pas. Depuis mes 90 ans, célébrés par la commune, j’ai dû abandonner mon état tant aimé d’indépendante, renoncer à décider, à organiser et à prendre les choses en mains.
Les soignants, face à un manque de temps évident et à mon comportement qui, lui, en exigeait davantage, ne pouvaient pas vraiment me comprendre. Je ne peux pas leur en vouloir, sachant qu’ils doivent assumer leur tâche dans un laps de temps restreint mais je souhaiterais que les dirigeants prennent conscience de ce malaise, tant chez les « soignés » que chez les soignants. On ne vieillit pas par plaisir ni pour emm…, enfin importuner les autres.

Pendant plus de trois ans, n’ayant pas de famille, j’ai fait appel aux services d’une dame de compagnie, accompagnatrice, secrétaire, mes moyens me le permettant. Il n’en va pas de même pour tout le monde.
Il y a quelques mois, j’ai à nouveau déménagé et mon « ange gardien » n’est plus présent aussi souvent que je l’aimerais pour m’aider et me réconforter.

Il faut entrer dans cette nouvelle phase de vie pour le comprendre.

Vive_liberte_5059.jpgAlors, mesdames et messieurs qui avez opté pour un travail social auprès des personnes âgées, pensez au vécu de tous ceux et celles que vous côtoyez. Avant leur entrée dans leur dernière demeure, à contrecœur, ils assumaient leur vie, la dirigeant comme ils l’entendaient. Aujourd’hui, ils ont dû renoncer à leur liberté pour moult raisons, alors qu’ils la chérissaient. Laissez-leur encore un peu de cette autonomie et consacrez-leur quelques minutes supplémentaires pour les écouter, les regarder. Vous verrez, ils n’en demandent pas davantage. Cela leur permettra ainsi d’oublier, un court instant, leur liberté d’antan.

C’est lorsqu’on perd quelque chose
que l’on prend conscience de sa valeur.

 

Betty Morel
Mai 2022