Motarde à perpétuité

À 23 ans, pour la première fois, j’ai posé mon postérieur sur une moto, en qualité de passagère. Séduite immédiatement, tant par le véhicule que par la vitesse (c’est tout relatif) et les rencontres qu’il occasionnait, j’ai, quelques années après, à 29 ans précisément, décidé de piloter moi-même. J’avais déniché une 125 cm3, classée « petite cylindrée », avec des gros pneus, conçue pour le sable. Elle m’avait tapé dans l’œil parce qu’elle était différente ! VanVan-79-825px.jpg
Mes premiers mètres furent laborieux, angoissants même, bien qu’instruite et guidée par un copain qui n’avait même pas de moto. Pour ce faire, il avait déniché un chemin goudronné mais très peu fréquenté. Habituée aux pédales de la voiture, il me fallait maintenant enregistrer et mémoriser les commandes manuelles et oublier mes habitudes, bien ancrées, enfin, les mettre de côté. Quelques séances ont été indispensables jusqu’à ce que je me sente un peu à l’aise sur ce deux-roues. C’était le temps (oh, pas si lointain) où le casque n’était pas obligatoire. Inconscience de la jeunesse, coquetterie. Je ne pourrais plus m’en passer maintenant. Finalement, les obligations ont du bon. Ainsi, chevauchant ma nouvelle monture, je me rendais chaque samedi chez mon coiffeur (j’en avais les moyens …) qui prenait grand soin de ma coiffure et secouait la tête en me voyant repartir, cheveux au vent. Mes échappées alors étaient de courte durée, s’agissant de trajets dans les alentours. J’étais l’une des premières à circuler à moto et je ne passais pas inaperçue. Le plus long « voyage » fut de me rendre à Evian, située à 50 kms, une sacrée performance !

Les deux années obligatoires en 125 étant écoulées, je souhaitais passer à une plus grosse cylindrée et me trouvais face à un choix difficile. Ignare en mécanique, je n’avais aucune idée des différences d’une marque à l’autre. Finalement, conseillé par un copain, j’optais pour une italienne de 500 cm3, une Laverda, marque aujourd’hui disparue. Le vendeur était sur place. Je me suis donc pointée dans son magasin un beau jour d’avril, dans le but de passer commande. Quelques deux semaines après, mon cœur battant la chamade, j’y suis retournée pour la chercher. Un grand jour, je ne l’oublierai pas ! Le spécialiste m’a d’abord débité les explications obligatoires relatives à l’engin, que je n’ai guère retenues au vu du trop plein d’émotion. Puis, après avoir encaissé la totalité de la somme, au comptant, il m’a remis les clefs de mon nouveau bébé qu’il avait garé à côté de son magasin. J’ai cru alors entendre un « débrouille-toi ». Il le fallait bien, car, ne l’ayant jamais essayée au préalable, celle qui était maintenant devenue « ma » moto se trouvait dans le sens inverse du départ. Qui dit changement de cylindrée, dit poids supérieur mais aussi hauteur et position différentes. Par miracle, j’ai réussi à tourner dans la rue. J’étais déjà en sueur. Concentrée sur tous les nouveaux éléments ainsi que sur la route, je m’étais fixée comme objectif de rentrer au plus vite et sans encombre. Certes, j’étais fière de ma nouvelle acquisition mais en même temps, je songeais au lendemain, aux rues que j’allais choisir et emprunter sans trop de circulation ni de feux rouges, aux arrêts et à la mise sur la béquille. Combien de temps m’a-t-il fallu pour l’avoir un peu en mains, je ne sais plus. Ce dont je me souviens, c’est de l’entraînement à l’examen pratique, le seul que j’avais à passer. Sur des parkings de grandes surfaces, les plus plats possible et libérés de leurs véhicules, je tournais et retournais sur place, dessinant des ronds et des huit, les plus serrés de préférence, avec ou sans le bras tendu, sans oublier les freinages d’urgence. C’est à Rennaz que j’ai passé avec succès mon permis, le 16 juillet 1981, avec quand même une petite remarque sur le freinage, pas suffisamment d’urgence ! Dès lors, me sentant plus sûre, j’ai pris la direction de Cossonay pour parfaire mon expérience, m’en remettant aux moniteurs du TCS pour le Cours n° 1. Théorie puis mise en pratique sur le circuit, il y avait de quoi transpirer mais j’étais rassurée de voir que certains motards étaient encore moins à l’aise que moi. Avant de quitter les lieux, l’un des instructeurs me parla d’un copain, célibataire, qui organisait les sorties motos pour le Touring et auxquelles je pourrais participer. Laverda-81-700px.jpgC’est ainsi que, dans les jours qui suivirent, après hésitation, je pris contact avec le motard en question pour en savoir davantage. La première démarche fut très agréable et les échanges téléphoniques s’enchaînèrent. Il était rentré récemment des USA, d’un voyage qu’il avait organisé pour une dizaine de motards et sa moto était encore sur le bateau. Il n’était pas sûr de la récupérer à temps pour le dernier week-end d’août dans les Grisons. Il me demanda si, dans ce cas, je pourrais l’emmener. Prise au dépourvu, avec une forte envie de partir et … de faire sa connaissance, je le rendis attentif de mon statut de débutante, ce sur quoi il me rassura. Pas peureux, le mec !! Lors du cours précédemment suivi, on nous avait précisé qu’il fallait une saison pour avoir sa moto bien en mains. J’en étais à quatre mois et j’allais devoir me charger d’un passager que je ne connaissais pas, dont j’ignorais le poids et la carrure et de surcroît très expérimenté. Inconsciente, une fois de plus, je l’étais, ne sachant pas ce qui se cachait derrière ce week-end aux Grisons, région totalement inconnue encore. Partir à l’autre bout de la Suisse et pas vraiment en lignes droites ni en plaine, voilà qui était nouveau pour moi. Combien avons-nous fait de cols ? Bien assez. Fort heureusement, mon passager s’est rapidement trouvé une moto à piloter, prêtée par un copain. Ce dernier souhaitait prendre place sur un siège arrière, ne s’estimant pas suffisamment en forme pour conduire tout le week-end. J’aurais dû me méfier ! Nous étions nombreux, c’est dire que la sortie aux Grisons avait sa réputation. Je me trouvais entourée de débutants comme d’expérimentés. Devant le fait accompli, je dus suivre la troupe, il était trop tard pour renoncer. Après un nombre de kilomètres impressionnants (1000 depuis le vendredi soir) et l’ascension de tous ces cols, à force de tourner mon guidon, je suis rentrée le dimanche soir sur les rotules et en même temps enchantée par cette nouvelle expérience et toutes ces rencontres. Septembre, la saison estivale perdurait et les sorties se succédaient. Je devenais une fidèle participante, un peu plus expérimentée. Le week-end du Jeûne m’avait été présenté comme semblable à celui des Grisons quant au kilométrage. J’allais découvrir une nouvelle région, située au nord des Grisons, et cette fois avec une équipe réduite. Je me retrouvais seule représentante de la gente féminine, avec quatre gars, habitués à ce genre de sorties. Encore une épreuve de force puisque nous avons parcouru 1300 kms en trois jours. Je ne sais toujours pas comment j’ai réussi à les suivre ! En revanche, le mardi, au travail, je n’étais guère vaillante, voire plutôt somnolente. Le « métier » rentrait, celui de motarde, et ma passion pour la moto se confirmait, au grand désespoir de mon père. Petit à petit, j’appris à la partager avec celui qui m’avait initié … aux cols ! MotoDesert.jpgEt bientôt, il arriva ce qui devait arriver, la passion pour les deux-roues contamina les êtres :-) Nous en sommes aujourd’hui à 36 ans de partage, tant d’amour que de moto. Dès lors, nous avons voyagé chaque année avec nos deux-roues respectifs, dans toute l’Europe mais aussi en Afrique du Nord, en Turquie et dans les pays de l’Est (avant la chute du mur). En Inde, nous avions acheté les motos sur place et les avons rapatriées. Il y eut une exception cependant. Pour faire plaisir à notre chienne, nous avions loué une péniche sur le canal du Nivernais, en Bourgogne, durant une semaine : repos, marche et vélo avec notre quatre pattes. Elle avait beaucoup apprécié. 


Lorsque j’ai connu Pascal, il était collectionneur de motos et pièces anciennes et je me suis tout de suite intéressée à ce nouveau volet. Nous partions deux ou trois fois par année, ici ou là, pour vendre ou échanger. J’ai découvert une autre belle ambiance et finalement, il m’a confié ses motos, plus âgées que moi, jusqu’à ce que je me décide à m’en offrir une. C’était une anglaise, « entre tubes », à savoir que le réservoir était à l’intérieur de la tubulure, et non dessus comme aujourd’hui, de marque AJS. Datant de 1928, j’étais sa quatrième propriétaire et le copain qui me l’avait vendue m’avait remis la photo d’origine de son premier détenteur, prise devant le château de Champvent. Quel plaisir j’ai eu avec cette bécane. Le changement de vitesses était manuel, à l’extérieur du réservoir et les trois vitesses ne me permettaient pas de dépasser les 60 km/h, au plat, d’autant que les freins n’étaient pas très efficaces. Moto de route de 350 cm3, je ne m’attendais pas à faire du circuit ! Entre les vieilles motos de Pascal et la mienne j’ai effectué pas mal de sorties et même un tour du Danemark et trois tours de Suisse (que nous avions organisés), tour à tour avec une Norton 500 cm3 (GB), une Nimbus 750 cm3 (DK) puis l’AJS. Un tour de Suisse représentait 700 kms dans la semaine, cols inclus. Pas mal pour ces vieilles grand-mères fatiguées. J’ai roulé aussi avec un tricycle Monet-Goyon (F) 250 cm3, une toute autre manière de conduire, car, si j’allais trop vite, la roue extérieure levait, ce qui m’invitait à la prudence. Gd-Prix-Mx-sepia.jpgParfois, il nous arrivait de défiler en habits d’époque, pour le plus grand plaisir de nos admirateurs. Casques ouverts bien sûr, avec une simple jugulaire, que l’assurance n’aurait pas reconnus, mais nous étions prudents, car les motos avaient une grande valeur pour nous et Pascal ne tenait pas à s’enfermer dans son atelier chaque semaine.
Motos anciennes, autre ambiance. Les motards étaient âgés de 20 à 80 ans, différence qui ne se sentait pas, car réunis par une même passion. Les plus âgés connaissaient tout ou presque des réactions de ces deux-roues, expériences qu’ils partageaient très volontiers avec les jeunes. Si mon amoureux n’avait pas décidé un beau jour, excédé par ces pannes à répétition, de TOUT vendre, j’aurais volontiers continué. Quel crève-cœur !! Mais bon, c’était mon mécanicien et je n’avais guère envie, ni la connaissance d’ailleurs, de « mécaniquer » à sa place ! Quelle tristesse de voir s’éloigner mon AJS, ne sachant pas vraiment comment elle serait traitée. Ainsi va la vie, avec ses pages qui se tournent. Nous pouvions continuer à rouler avec nos motos récentes tout en nous épargnant les surprises et aléas de la mécanique.
Pendant des années, nous avons parcouru routes et chemins, en plaine ou en montagne, chaque week-end et cela, du temps où nous étions tous deux employés ! Dans les années 90, nous nous sommes mis à notre compte, l’un après l’autre et, du fait des semaines de six jours et des salaires irréguliers, nous nous sommes limités au dimanche, avec parfois quelques week-end prolongés. Aujourd’hui, nous avons toujours en nous cette même passion et roulons toute l’année, avec un équipement bien adapté, sauf lorsqu’il pleut (eh oui, on a vieilli !!) ou qu’il neige. Un jour, il m’est arrivé de faire un petit calcul des kilomètres parcourus au cours de toutes ces années. J’en étais arrivée à … 500'000 avec les motos récentes et 4’000 avec les anciennes. Belle performance, non ?

Depuis quelques années, un rêve me titille, il est là dans un coin de ma tête. Partir avec mon amoureux, chacun sur un side-car, pour un périple de deux ou trois mois. Parcourir des pays, connus ou inconnus, avec des motos attelées pour prendre davantage de bagages et se sentir plus en sécurité sur des routes défoncées. Ce serait une petite incartade dans notre vie de motards, d’artistes, pour casser la routine. Encore que, ce mot là ne nous concerne pas trop, ce serait plutôt une nouvelle expérience, un défi de plus et, pour l’instant, c’est un projet. Mais les années passent et il ne faut pas trop tarder, car un jour viendra où je n’arriverai plus à enjamber ma moto :-) Le virus m’a pris il y a … 47 ans déjà !
Très souvent, on me trouve plus jeune que je ne le suis, ce à quoi je m’empresse de répondre que c’est grâce à …. LA MOTO !!!!! Aujourd’hui encore, je suis toujours prête à partir, qu’il s’agisse d’un dimanche après-midi, d’un week-end et encore mieux, de vacances. Elle est vraiment belle, la vie d’une motarde !!!!

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Betty
mars 2018