Au rythme du canal

Sous un ciel prometteur, d’un bleu légèrement voilé, nous retrouvons nos amis à Vermenton, en Bourgogne (département de l’Yonne). La péniche, baptisée Ephemerella, s’apprête à nous recevoir. Ses voisines attendent leurs loueurs, d’autres subissent un service d’entretien. Toutes se reflètent dans les eaux calmes du canal du Nivernais tout comme la petite maison éclusière abandonnée, située en face, dont les fenêtres ont volé en éclats. Deuxième de France en termes de fréquentation, le canal est un véritable havre de paix.

Canal-Nivernais_2022Pascal ayant reçu les explications idoines, il s’installe aux commandes avec Jacques à ses côtés, co-pilote volontaire. Quant à nous, les quatre « fées », nous mettons en place nos bagages dans nos cabines respectives, de même que les achats alimentaires dans la petite cuisine. Des paysages bucoliques, un ciel immaculé, pour un début, c’est réussi. Des noyers, souvent vieux, sont chargés de ces fruits tant appréciés qui me rappellent ma région. Chaque jour, notre capitaine prend soin de nous annoncer le nombre d’écluses, variant entre cinq et sept. Sachant que la péniche ne doit pas dépasser les 8 kms/h et qu’il faut un bon quart d’heure par écluse, il ne s’agit pas de lambiner, même en vacances. Dans l’eau du canal se reflètent les arbres, maisons et embarcations, de même que les nuages. De quoi rêver ou méditer.

La surface de l’eau est parfois très animée. Ici, deux couples de cygnes et un célibataire avec leurs cinq adolescents au pelage beige ne sont guère effrayés. Plus loin, un martin-pêcheur, dans des coloris toujours surprenants, mélange de turquoise, d’orange et de blanc, vole en rase-motte et s’éloigne à grande vitesse, ne nous laissant guère le temps de l’admirer. Un groupe de colverts caquette, à propos des intrus que nous sommes peut-être. Une vache s’aventure lentement dans l’eau pour se désaltérer, nullement apeurée par le terrain boueux ou sablonneux. Une foultitude de libellules, très élégantes, tournoient aux alentours de la péniche à la recherche de quelques insectes. Parmi elles, des toutes fines aux ailes couleur turquoise. 

Quel dommage de voir de si jolies maisons abandonnées, désertées. A moins qu’elles ne soient la propriété de vacanciers. Il en va de même pour celles des éclusiers, datant du 19e siècle. Il semble que l’Etat ne souhaite pas faire les frais de leur réfection, ne cherche pas à les vendre et envisage même de les détruire !

En cours de « voie navigable », nous découvrons des peintures sur des façades de maisons éclusières et bâtiments de service. Sur l’une d’elles, des portraits aux seuls contours noirs représentent, d’un côté un visage de femme avec cheveux au vent, et de l’autre, un jeune enfant avec sa mère. L’éclusier présent nous dit en être l’auteur et avoir déniché ces modèles dans un livre du 19e siècle. Du bel ouvrage. D’autres peintures colorées agrémentent les façades borgnes de bâtiments électriques, mélange de faune et de flore.

Des étudiants occupent des postes saisonniers, gérant une, parfois deux écluses, et se déplaçant pour la plupart en voiture, parfois en deux-roues. Ils avertissent leurs collègues suivants de notre arrivée, par téléphone. A l’approche d’une écluse, tout le monde sur le pont, ou presque, car il s’agit d’aider à l’abordage en ouvrant les portes d’un côté mais aussi en jetant les cordes autour des bites d’amarrage puis de les en détacher. Mais attention, il est temps de remonter ou descendre sur le bateau. Voilà qui nous tient éveillés, nous fait faire un peu d’exercice tout en économisant des pas aux travailleurs attitrés. Certains, très sympathiques, s’enquièrent de notre provenance et de notre destination et nous les questionnons, à notre tour, histoire d’en connaître davantage sur le système ou la région. Ainsi, nous apprenons que les écluses seront bientôt automatisées et la communication coupée. Mais aussi que le canal de Bourgogne n’est actuellement pas en service en raison de la sécheresse d’une part et du manque d’entretien d’autre part.

Canal-Nivernais2_2022_1111.jpgCertaines maisons éclusières étant fermées, de jolies petites « guitounes » les remplacent, mises à la disposition des travailleurs saisonniers, équipées d’un frigo, d’un micro-onde, d’une table et d’un siège, de même que d’une réserve d’eau en cette période caniculaire.

Nous croisons à deux reprises des péniches-hôtels d’une trentaine de mètres de long. Pascal, averti par les éclusiers, se montre vigilant à l’approche des monstres et se range sur le côté tout en tenant compte du fond sablonneux et des branchages. Une éclusière nous communique le coût d’hébergement à la semaine sur ce bateau, incluant nuitées et repas, soit 14’000 € pour une dz de personnes.

Le petit port bucolique de Mailly-la-Ville nous accueille, dans lequel d’autres péniches se reposent. Temps de pause pour nous restaurer.

Histoire de nous dégourdir les jambes, de digérer et de découvrir, nous empruntons le petit chemin en terre battue, très pentu, pour accéder à Mailly-le-Château, dominant la vallée. Sur la jolie place ombragée, des bancs offrent un peu de repos sous les marronniers à qui le souhaite, mais aussi l’opportunité d’admirer les pétanqueurs ou le magnifique château, dont la pelouse est couverte de colchiques. Le village semble désert. De très belles maisons anciennes sont pour la plupart fermées. Un autre château attire nos regards, à travers les grilles duquel nous apercevons également un lit de colchiques blanches et mauves. Les commerces, à l’exception d’un Proxy, brillent par leur absence. Il n’y vit que 545 âmes dans le village, ce qui ne laisse pas l’opportunité aux magasins de survivre.

Le village de Châtel-Censoir est du même acabit. Nous nous sommes amarrés à ses pieds, à côté d’un anglais dont la péniche est plus grande que la nôtre. Il nous confie y vivre à l’année, l’avoir achetée neuve en Belgique pour 145'000 Euros et passer les hivers à Briare. Là encore, le village se compose de deux parties, le bas et le haut. Pascal appelle le technicien pour régler un problème. Ce dernier se déplacera en voiture pour lui expliquer de vive voix de quoi il en retourne.  Nous attaquons la montée conduisant à la ville haute, d’où la vue est imprenable, notamment sur le petit port. Une collégiale en mauvais état semble abandonnée mais un panneau affiche « vendue » sur sa façade, fort heureusement. Sur la façade d’une maison abandonnée et en piteux état, une plaque commémorative attire nos regards, rendant hommage à Edmé Champion qui, à la fin du 19e siècle, fut à l’origine des soupes populaires modernes à Paris. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris. Ladite maison, nous l’apprendrons ensuite, devrait être restaurée par la commune. Sur la façade d’une autre bâtisse, une plaque rend honneur à Raymond Fassin, né en 1914, résistant de la première heure et bras droit de Jean Moulin, mort en déportation en 1945. Ainsi, ces hommes ne sont pas complètement oubliés.

Jeudi matin, une grosse pluie s’abat sur nous durant une heure. Prévoyants, nous sortons nos équipements. C’est à ce moment-là que nous croisons une péniche-hôtel. Le pilote semble très nerveux, car la voie n’est pas large à cet endroit. L’un de ses collègues l’abrite avec un grand parapluie. Moment stressant, tant pour le pilote que pour Pascal qui doit maintenir notre bateau au plus près de la rive.

Canal-Nivernais1_2022_1111.jpgDans la nuit de mercredi à jeudi, un gros orage éclate, accompagné d’éclairs à répétition et de tonnerre. Les chaises s’entrechoquent à grand bruit sur le pont. Au petit matin, le soleil retrouve son éclat.

Comme toutes les bonnes choses ont une fin, arrive le moment du retour à la case départ. Il s’agit de libérer notre embarcation en temps voulu, après ces courtes vacances des plus agréables durant lesquelles nous avons apprécié la vie en communauté. Notre capitaine avait opté pour la solution de nettoyage par la compagnie de navigation, et non la nôtre. Quelle bonne initiative !

Comme s’il était triste de cette séparation, le ciel a revêtu sa robe grise, abaissant ainsi la température. Après avoir chargé motos et voiture, nous quittons les lieux, avec la larme à l’œil pour certains.

Dans le village de Vermenton (1'255 habitants), les bancs de marché sont quelque peu clairsemés et le tour en est vite fait. La jolie petite ville de Vézelay, avec ses magnifiques maisons en pierre, se traverse à pied. La ruelle centrale, pavée et pentue, conduit à la Basilique Sainte-Madeleine. Vue imprenable sur les monts du Morvan. Les petits commerces touristiques et restaurants animent les lieux.  La boutique d’antiquités « Mes découvertes » a élu domicile dans l’ancienne église de Vézelay. Achetée et transformée par Julien Cohen, homme de télévision, on y trouve un choix impressionnant de meubles, vaisselle, tapis et autres objets de collection. Parmi ces merveilles, une énorme sculpture représentant une écrevisse, artistiquement confectionnée en métal et en bois.

C’est ici que prendra fin notre périple en communauté, empli de rigolades. Et là encore que nos chemins se sépareront, nos amis rentrant à la maison tandis que nous poursuivrons nos vacances sur les petites routes de France.

Clarens, le 15 novembre 2022.

 

Pour en savoir plus sur Internet :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Morvan
https://fr.wikipedia.org/wiki/Canal_du_Nivernais
http://chateau-de-mailly.com/fr/
https://www.destinationgrandvezelay.com/chatel-censoir/
https://www.les-plus-beaux-villages-de-france.org/fr/nos-villages/vezelay/
https://mes-decouvertes.com/la-boutique-de-vezelay-en-3d/
https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/decouvrez-secrets-eclusier-du-canal-du-nivernais-1517067.html